Dans la presse (5)
Dans la presse (5)
Cartelles.fr, Sarah Authesserre (12/2/2020)
La Dépêche, Pascal Alquier (11/2/2020)
Intramuros (11/2/2020)
Le Clou dans la Planche, Stéphanie Chomienne (9/2/2020)
RadioRadio Toulouse, Un cactus à l'entreacte (9/2/2020)
Au Royaume de l'Absurde
Le Clou dans la Planche, Stéphanie Chomienne (9/2/2020)

«Pendant que mes collègues proposent un Hamlet plus mauvais en le jouant mieux, mon serveur devient toujours meilleur, justement parce que je le joue de plus en plus mal.» Peter, Beckett Boulevard

Trois comédiens entreprennent de semer le chaos en quelques minutes sur la scène du théâtre Garonne, transformée en Beckett Boulevard. En guise de prologue, des actions se succèdent, chacune étant censée réparer la précédente, mais aboutissant au contraire à un désordre croissant : fil d’aspirateur dans lequel on se prend les pieds, chaises renversées, carton éventré, déchets de polystyrène expansé éparpillés... tous les éléments désobéissent aux trois clowns beckettiens que sont Natali Broods, Nico Sturm et Peter Van den Eede de la compagnie de Koe. « Ce soir, on dynamite gaiement ! » Même si l’entrée en matière est réjouissante, le collectif cache bien son jeu et le sabotage ira bien plus loin que ce qui est annoncé en ouverture. Ce qu’on dynamite là, c’est le langage et le théâtre. D’où le titre.

Des acteurs et des rôles

Après une longue errance dans le labyrinthe d’un parking, une intrigue semble naître dans la salle d’un restaurant : une critique du jeu social pourrait se dessiner à travers l’histoire d’une actrice se tournant vers la politique, son ancien mari et un serveur ; mais ce dernier est aussi faux serveur qu’il est vrai acteur, et les deux autres ont bien du mal à le reconnaître alors même qu’ils furent intimes. Les scènes s’enchaînent, le plateau représente le restaurant – dans lequel il faut imaginer les tables –, mais la pièce se joue aussi sur un écran où est projetée une interview des acteurs la commentant. Les identités se mêlent, tandis que les tableaux jouent en miroir sur la limite floue entre réalité et fiction – les acteurs de la parodie télévisée sont aussi Peter, Natali et Nico, les comédiens flamands de la compagnie de Koe... Le spectateur est ainsi plongé dans une déstabilisante mise en abyme kaléidoscopique, où le faux de l’émission projetée sur l’écran est finalement plus vrai que ce qui se déroule réellement sur scène. Un absurde on ne peut plus beckettien, renforcé par le vertige des questions posées sur l’identité des trois protagonistes, à la fois personnages dans leur rôle et artistes en train de jouer ; on pense alors à Play, cette pièce de 1963 dans laquelle Beckett mettait en scène un triangle amoureux en proie à un emballement de quiproquos. Un absurde qui évoque également celui de Ionesco par le jeu sur le langage et la difficulté à communiquer.

« Comment faut-il encore, de nos jours, jouer une scène au restaurant ? »

Le spectacle se déroule ainsi, par retournements et écroulements successifs, pour le plus grand plaisir de la salle. Un plaisir présent dès l’ouverture : plaisir du jeu de scène – de ce trio de clowns sérieux dans un palais des glaces –, plaisir de rire de tout – des gestes, des situations ubuesques, des dialogues absurdes –, plaisir enfin pour les habitués, de retrouver une troupe familière du théâtre Garonne, puisque le laboratoire théâtral de Koe vient y représenter ses œuvres depuis 2008. Les trois comédiens sont au meilleur de leur art : précis, efficaces et drôles, qu’ils soient muets – une simple chaise déballée et essayée par chacun suffit à réjouir les spectateurs – ou non – hilarante démonstration du jeu du serveur. Leurs talents sont multiples et le spectacle est riche, mêlant jeu, musique et vidéo. Il est aussi intelligent, proposant une réflexion sur le théâtre et les jeux d’illusions dans lesquels nous vivons. Peu de choses à redire, donc, si ce n’est peut-être que cela se répète un peu vers la fin : difficile pour ces équilibristes du langage de rester à leur sommet. Il eût sans doute été opportun de resserrer un peu la dernière partie, mais comment leur en vouloir de faire durer de la sorte un si jubilatoire jeu de massacre ?